Redresser l’économie pendant que l’idéologie verte dégrade l’industrie manufacturière

Le slogan de la réindustrialisation ne permet pas d’enrayer le déclin de l’industrie manufacturière dont la part dans le PIB de 10.2 % en 2016 chute à moins de 8 % et va encore reculer en raison des normes, de la décarbonation et du prix de l’énergie. S’il est impossible de remédier à cela, alors tentons au moins d’influer sur les flux de délocalisation de productions afin de mieux maitriser notre économie.

Une incompréhension du temps long de l’industrie et des processus industriels   

Mardi 16 mai 2023, Bruno Le Maire faisait part des ambitions gouvernementales dans le cadre du plan « Industrie verte » : « Nous avons pour objectif de remonter la part de l'industrie dans le PIB de 10 à 15 % » et s’interrogeait : « De quoi avons-nous besoin pour construire une usine, avec des technologies dedans et des gens pour la faire tourner ». « D’abord du foncier, ensuite des capitaux et enfin de la formation. ». Quiconque a participé à un processus de production industrielle ou connait le long cheminement de l’industrialisation française, n’adhèrera pas à un discours plutôt démagogique qui préfère occulter les innombrables obstacles à la relocalisation de l’industrie manufacturière en France.    

Parmi les autres mesures du projet de loi « industrie verte » en 13 articles qui sera proposé au parlement cet été, citons un crédit d’impôt « industrie verte » destiné à attirer des capitaux étrangers et pouvant atteindre 45 % des investissements engagés dans la production de batteries, d’éoliennes et panneaux solaires, inscrits dans le Clean Tech Act de Bruxelles. Pourtant, le bilan environnemental et la nocivité des batteries électriques, panneaux solaires ou des éoliennes qui massacrent l’avifaune et condamnent pour toujours des sols fertiles ou des écosystèmes marins, en versant des milliers de tonnes de bétons, ont été souvent dénoncés. Leurs promoteurs ignorent comment les recycler et par ailleurs ferment les yeux sur les conditions de travail d’enfants chargés de recueillir pour quelques euros et au péril de leur vie, de grandes quantités de ressources minières. Aussi n’est-il pas certain que l’industrie et l’énergie dites vertes et imposées par l’UE soient moins sales et plus vertueuses que les énergies fossiles.

L’industrie manufacturière des biens de consommation était auparavant composée d’une multitude d’entreprises qui formaient ensemble des écosystèmes industriels complets disséminés sur l’ensemble du territoire français mais s’étaient constitués en plus d’un siècle. On peut toujours relocaliser quelques productions dont l’assemblage de pièces importées serait robotisé en France mais on ne peut pas parler de réindustrialisation. Quelques relocalisations ne compenseront pas le départ d’usines soumises à des normes françaises sans équivalant dans le reste du monde ainsi qu’à un coût de l’énergie en hausse pendant que d’autres pays industrialisés ouvrent chaque an des centaines de centrales à charbons et gaz. 

L’affaiblissement du PIB industriel aggrave les déficits publics       

En 2016, la part de l’industrie dans le PIB affichait 12.6 % dont 10.2 % de part manufacturière. Si l’on souhaite cerner la nature de notre industrie pour mieux appréhender la difficulté de réindustrialiser, on peut reprendre le montant actuel de 10 % de PIB industriel cité par Bruno Le Maire, diminué de 20 % constitués en moyenne par l’industrie extractive mais aussi un chiffre arrondi à 20 % correspondant au secteur agroalimentaire moins structurant et qui exige généralement moins de technologies, de recherches et dépôts de brevets que la construction d’automobiles ou de centrales nucléaires. Aussi peut-on évaluer le PIB industriel manufacturier hors agroalimentaire actuel autour de 6 %.

L’hécatombe se poursuit avec les 130 rachats d’entreprises stratégiques par des étrangers en 2022 et la fermeture à terme de plusieurs centaines de leurs sous-traitants situés dans l’hexagone mais aussi bientôt la mise à mort de l’industrie automobile thermique française qui était le dernier des grands secteurs de l’industrie manufacturière des biens de consommation après l’agroalimentaire. Il est à craindre que la décarbonation à marche forcée de l’industrie de produits manufacturés fasse encore perdre 1 à 2 points de PIB industriel d’ici la fin du mandat d’Emmanuel Macron et ne creuse davantage les déficits publics.

3 000 milliards d’euros d’endettement, une baisse du nombre de cotisants aux régimes sociaux au rythme de la désindustrialisation, la faillite des services publics impuissants face à des urgences sanitaires, l’insécurité et l’immigration. Pauvreté et nombre croissant d’allocataires du RSA et de bénéficiaires des aides alimentaires, toujours plus de sans-abris etc.

Quelles solutions pour sortir de cette impasse économique ?

Il est évidemment impossible de reconstruire la France industrielle des années 70 ni même, à ce stade de désindustrialisation et à la fin d’un cycle, de réindustrialiser significativement notre pays. J’expliquais ce mécanisme des cycles dans le magazine Marianne : « les économies suivent généralement le même cheminement agricole, industriel puis des services. Ainsi, les pays les moins développés dont ceux d’Afrique subsaharienne, ne peuvent enjamber une progression des cycles, de même que les pays anciennement industrialisés se heurtent à un effet cliquet post-industriel qui empêche un parcours inverse. ». Il n’y aura sans doute pas de réindustrialisation au sens propre. Aussi convient-il d’élaborer maintenant un modèle qui permette à des entreprises françaises de bénéficier de nouvelles marges de manœuvre en termes de pondération de coûts de production mais aussi de nouveaux marchés.

Par ailleurs, l’application du programme pour l’industrialisation de l’Afrique subsaharienne en moins de 20 ans, s’avère urgente. Car 9 personnes vivant dans l'extrême pauvreté sur 10 vivront en Afrique subsaharienne en 2030 et sa population passera d'1 milliard d'habitants à 2 en 2050 puis 4 en 2100.

Alors si l’on considère d’une part, que les produits français sont rarement compétitifs dans le contexte de mondialisation mais qu’on ne peut installer des mesures protectionnistes interdites par les traités de libre-échange de l’UE et que d’autre part, l’Afrique subsaharienne, voisine de notre continent qui doit s’industrialiser pour éviter un chaos humanitaire sans précèdent qui par ailleurs, génèrerait une immigration massive vers la France et l’Europe, offrirait des coûts concurrentiels dans des industries manufacturière à forte main d’œuvre, il pourrait dès lors s’avérer pertinent de nouer de nouveaux partenariats industriels.

De nombreuses entreprises françaises qui disposent de savoir-faire et technologies mais souhaitent réduire leur dépendance envers la Chine, accepteraient de transférer une part de leurs chaines de valeur mondiales vers l’Afrique subsaharienne pour élargir leurs marchés. Nous pourrions nous appuyer sur l’atout de la francophonie et d’une forte diaspora africaine riche d’une jeunesse souvent ambitieuse dont des membres diplômés et volontaires nous ont fait part de leur désir de s’investir dans un vrai projet de développement de l’Afrique subsaharienne. Cela permettrait de restaurer une relation mise à mal par de nouveaux acteurs économiques ou prédateurs. Les échanges profiteraient à nos économies respectives.

Consultant et entrepreneur, Francis Journot dirige le programme pour l’industrialisation de l’Afrique subsaharienne ou Plan de régionalisation et Africa Atlantic Axis.  Il fait de la recherche dans le cadre  d’International Convention for a Global Minimum Wage et tient le site Collectivité Nationale 

https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/directions_services/etudes-et-statistiques/Chiffres_cles/Industrie/2017-Chiffres-cles-industrie.pdf

https://www.tf1info.fr/economie/la-part-de-l-industrie-dans-le-pib-est-elle-deux-fois-plus-faible-en-france-qu-en-allemagne-2185398.html

https://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/lindustrie-francaise-pourrait-saffaiblir-encore-plus-dans-les-mois-qui

https://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/focus-sur-lemploi-dans-lindustrie-francaise#_ftn3

https://www.lesechos.fr/finance-marches/ma/bercy-a-autorise-plus-de-130-rachats-dentreprises-sensibles-par-des-etrangers-en-2022-1941450