Après 40 ans d’échec, les conférences climat doivent changer de stratégie !

Logofigaro 1 2

Cop climat apres 40 ans

Le Figaro/Tribune par Francis Journot - La première COP climat a été organisée par l’ONU à Genève en 1979. Cette même année a aussi vu l’aboutissement du cycle de Tokyo dans le cadre du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers institué en 1947). Cette étape déterminante du premier traité de libre-échange de l’histoire a induit une accélération sans précédent de la production à bas coût et du consumérisme mais aussi de ses effets pervers sur l’environnement. Certes, nous ne parviendrons pas à réparer ces dégâts mais après l’échec des COP au cours des 40 dernières années, nous devons néanmoins tenter à nouveau de concilier libre-échange, diminution de la pauvreté et sauvegarde de l’environnement.

Défiance et green washing à la COP 24

En décembre 2018, la COP 24 devait permettre de finaliser les accords de Paris de 2015 mais si l’on en juge par l’absence de la plupart des 138 chefs d’Etats et de gouvernements qui étaient attendus et un résultat décevant, on ne peut que constater de la défiance envers la stratégie climatique. Mais les accords de Paris ont-ils encore un sens lorsqu’ils sont boudés par la première puissance mondiale et foulés aux pieds par la deuxième, obsédée par le maintien d’une haute croissance et surtout avide  d’opportunités industrielles comme celles des batteries électriques, des panneaux solaires et des éoliennes dont elle possède maintenant les monopoles. Les autres pays ne sont pas davantage vertueux. L’Allemagne, première économie de l’UE continue, comme de nombreux autres pays, d’investir dans le secteur du charbon qui constitue à l’échelle mondiale 44% des émissions de gaz à effet de serre. Cette industrie en a profité pour faire son green washing et la conférence était parrainée par le polonais JSW, 1er producteur de charbon d’Europe. 

L’industrie textile a également souhaité améliorer son image car elle occupe la deuxième place au rang des industries les plus polluantes derrière celle du pétrole et a contribué, depuis l’avènement de la fast fashion ou mode jetable, à des centaines de catastrophes écologiques. Elle rejette chaque année   500 000 tonnes de microfibres dans les océans et a encore recours à des conditions de travail proches de l’esclavage avec des salaires parfois inférieurs à 50 ou 100 euros. Représentée par 43 groupes de la mode, celle-ci a signé une charte pour la diminution d’ici 2050, de ses émissions de GES. Mais le nombre de vêtements et accessoires fabriqués a cependant doublé en 15 ans pour atteindre maintenant le chiffre de 100 milliards d’articles par an et 10 % des émissions de CO2. Ces chiffres pourraient encore doubler au cours des 20 ou 30 prochaines années selon l’ONU Environnement : «Si rien ne change, d'ici 2050, l'industrie de la mode consommera un quart du budget carbone mondial ».

Pourquoi les COP climat ne peuvent réussir    

Le nombre élevé de pays climato septiques et l’influence économique de plusieurs d’entre eux, vouent irrémédiablement ces sommets mondiaux à l’échec. Le titre même de Conférence sur le climat qui présuppose une origine anthropique et le contenu des accords de Paris focalisé sur le réchauffement du climat, sont contre productifs. Ils occultent les divisions et relèguent au deuxième plan, la question des autres problématiques environnementales qui pourtant, pourrait plus aisément rassembler. Le rapport alarmiste du GIEC, n’a pas permis de réduire le camp du scepticisme et l’opiniâtre Secrétaire Général de l’ONU Antonio Guterres a dû prolonger de 28 heures la dernière COP pour obtenir au forceps quelques engagements non contraignants. La fracture ne s’estompera pas lors des prochaines COP et peut-être convient-il aussi de rompre avec une vision idéologique et manichéenne qui encourage une opposition « Nord Sud ». L’industrie s’est  surtout développée à partir du début du XXème siècle mais les dommages causés à l’environnement l’ont été principalement au cours des quatre ou cinq dernières décennies.

Aussi, des Etats estiment que dans un contexte de guerre économique permanente exacerbée par la mondialisation promue par le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) puis l’OMC, il est peu cohérent de leur reprocher maintenant d’avoir suivi ce modèle économique qui était, il y a 40 ans, également plébiscité par des pays émergents ou en développement, même si certains en ont ensuite beaucoup plus profité que d’autres. A la fin du cycle de Tokyo en 1979, 102 pays signataires adhéraient à ce choix de société qui préconisait la course à la croissance et promettait la prospérité. Les accords portaient alors sur 300 Mds de dollars d’échanges au lieu de 40 Mds lors du cycle précédent. Certes, chacun souhaitait bien légitimement pour son pays, le développement et le recul de la pauvreté, mais le risque de conséquences désastreuses dont le saccage de l’environnement, la destruction de la biodiversité et une augmentation des émissions de CO2, était déjà connu. 60 autres Etats les rejoignaient au cours de décennies suivantes. Il est peu surprenant que les pays développés du Nord jugés maintenant par les accords de Paris, grands responsables du réchauffement climatique devant à ce titre financer la transition énergétique des pays du Sud à hauteur de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, ne se précipitent pas à ces réunions mondiales ou rechignent à faire des chèques d’autant qu’une part importante d’entre eux ne se sent pas responsable du climat. Il serait plus consensuel de rebaptiser les COP. Un contenu moins idéologique n’entretenant plus de confusion entre les divers sujets, comportant de nouvelles propositions et proposant un nouvel éclairage sous l’angle des thématiques moins clivantes et concrètes du risque démographique, de la dévastation de l’environnement et de la disparition des espèces que nul ne pourra contester, recrédibiliserait ces conférences tout en permettant de lutter plus efficacement contre les émissions de GES. 

Transition énergétique et voitures électriques : solutions pérennes ou illusion ?  

On peut regretter que des partis politiques et des ONG de l’écologie se soient emparés du thème du réchauffement climatique pour en faire leur cheval de bataille et un outil d’influence sur les politiques intérieures. Celui-ci phagocyte maintenant le débat environnemental. Les propositions qui semblent davantage dictées par une idéologie politique que par un intérêt pour l’humanité, apparaissent souvent peu réalistes. Elles sont loin de faire l’unanimité lorsqu’elles réclament toujours plus de taxes énergétiques à l’encontre des consommateurs et des entreprises. Le discours prône la fermeture de centrales à énergies fossiles mais aussi dans certains pays celle de centrales nucléaires qui pourtant fournissent une électricité peu carbonée. Mais disposons-nous aujourd’hui des outils nécessaires à une transition ? Certes les énergies fossiles sont polluantes et les déchets nucléaires difficiles à stocker mais les énergies solaire et éolienne ne peuvent actuellement constituer dans les pays développés, compte tenu de leur caractère intermittent, que des solutions complémentaires. L’adoption progressive de ce modèle économique dont la pertinence n’a jamais été démontrée, pourrait cependant provoquer une hausse importante du prix de l’énergie. Il convient également d’être réservé à propos du gain écologique mondial que pourraient procurer des automobiles apparemment plus propres mais dont l’électricité serait en réalité souvent issue du charbon, fioul ou gaz dans des pays frontaliers ou non. Les émissions diminueraient dans les métropoles de pays disposant de centrales nucléaires mais la pollution traverse les frontières. On peut aussi craindre le risque écologique d’un remplacement anticipé en quelques années, d’une part importante d’un parc comptant près d’un milliard de voitures en état de marche, au regard de l’extraction des matières premières nécessaires, des émissions de GES qui seraient générées par la production de milliards de tonnes de matériaux, la gestion des déchets automobiles et des nouvelles batteries électriques que nous ne savons pas encore recycler et d’un ballet de porte-containers qui participeraient également à la pollution de l’environnement. L’arrivée sur le marché de l’occasion de dizaines de millions d’automobiles supplémentaires par an souvent ensuite exportées (actuellement 4 à 5 millions de véhicules européens sont exportés vers l’Afrique chaque année), contribuerait à l’asphyxie de nouvelles villes.

Quand le prétexte de l’écologie sert la fiscalité      

La taxe carbone qui s’inspire du principe pollueur payeur apparu en 1972, se révèle inefficiente. Les groupes internationaux parviennent souvent à s’en exonérer et elle alourdit surtout le fardeau d’entreprises locales et de consommateurs de 21 pays dont 17 situés en Europe sans pour autant parvenir à réduire le consumérisme. En France, la révolte des « gilets jaunes » s’est amorcée à la suite d’une hausse annuelle prévue de 3.7 Mds d’euros de la fiscalité sur les carburants présentée pour financer la transition énergétique. Mais parmi les 37.7 milliards d’euros qui devaient être collectés en 2019 au titre de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) 7.2 Mds soit 19.1%  seulement était affecté à la transition. On ne peut s’étonner que  des automobilistes qui peinent déjà à payer leur nourriture et l’énergie vitale, se soulèvent lorsque le gouvernement veut les contraindre à s’endetter pour l’acquisition de voitures électriques ou de nouvelles chaudières.     

Pénuries et boulversements économiques

L’environnement paie un lourd tribut pour chaque article produit et on peut facilement imaginer, compte tenu de la démographie, que les ressources de notre planète vont s’épuiser rapidement. Si on prend le cas d’un simple tee-shirt, l’emprunte carbone avoisine 10 kilos de la production à la destruction, la culture de son coton peut exiger 3 000 litres d’eau et son parcours peut atteindre plusieurs dizaine de milliers de kilomètres. Dans le domaine des métaux, « 99.9 % des ressources théoriques resteront inexploitables » selon les physiciens Robert Underwood Ayres et Brian Skinner (MIT). La diminution rapide des réserves depuis 50 ans, la criticalité ou les prévisions de raréfaction au cours des prochaines années et décennies, d’une vingtaine de métaux rares et précieux aujourd’hui indispensables à la production exponentielle de l’industrie électronique, peuvent faire redouter un futur impact sur une économie mondiale très numérisée et de plus en plus automatisée. L’économiste et mathématicien Nicholas Georgescu-Roegen prévenait déjà en 1979 «C’est une illusion de la pensée linéaire, de la mythologie moderne du progrès et du développement de croire cette abondance sans conséquences écologiques et sans limites.» Les pénuries bouleverseraient notre quotidien et pourraient causer un chaos bien plus rapidement que le réchauffement climatique. Des Etats, populations et entreprises, subiraient les effets de krachs financiers à répétition et les conflits se multiplieraient. Nous devons économiser nos réserves pour retarder ces dommages mais en revanche, peut-être échapperons nous à un futur de science-fiction, déshumanisé et peuplé de machines.  

Créer des mécanismes économiques pour consommer moins mais mieux

Rien ne semble pouvoir modérer la surconsommation. Les marches et les pétitions climat, qui, bien que médiatisées, ne mobilisent qu’une part infime des populations. Elles n’influent guère sur un modèle du libre-échange dérèglementé qui favorise la production low-cost et une offre imposée à laquelle les consommateurs se conforment généralement. La taxe carbone est refusée par la plupart des pays. Un rétablissement des barrières douanières tarifaires ou non est à court terme peu envisageable si l’on pense aux chaines d’approvisionnement de produits souvent made in world et à d’éventuelles chutes soudaines de croissance qui déstabiliseraient l’économie de nombreux états. Quant aux COP, elles échouent depuis 40 ans. Alors sommes-nous dans une impasse ? Pourtant, il nous faut impérativement, afin de réduire les dégâts, penser des solutions économiques pragmatiques, rapidement opérationnelles et surtout, capables de rassembler. En économie mondialisée les solutions sont surtout globales et la taxation en aval a montré ses limites. Nous pourrions, afin de réduire notre consommation de produits jetables ou obsolescents, user en amont de la production, de mécanismes économiques susceptibles de guider les entreprises industrielles vers une revalorisation de leur production.  Si l’on choisit l’exemple de la mode, lorsque le coût de main d’œuvre est insignifiant, les matières utilisées sont souvent de qualité médiocre. Ces produits à bas coûts, revendus en tant que bas et moyen de gamme mais parfois haut de gamme, d’abord proposés à fort coefficient, sont souvent ensuite bradés ou couramment détruits. Une augmentation du coût salarial pourrait générer un nouveau regard, une valorisation des produits et un recul du jetable. 

Par conséquent, un salaire minimum mondial offrant 5 à 7 niveaux de compatibilité avec les économies des pays concernés, d’abord sectoriel, progressif et spécifique à la production principalement destinée à l’exportation vers l’UE et les USA, génèrerait une montée globale en qualité des articles et recréerait des équilibres sans pour autant impacter durement les prix payés par les consommateurs occidentaux si l’on considère aussi qu’il n’est pas rare qu’un article soit actuellement vendu 10 ou 20 fois son prix de revient sorti d’usine et que la concurrence effrénée dans l’industrie manufacturière des biens de consommation, régulerait les prix. Compte tenu d’une hausse des salaires qui ne concernerait qu’une part des populations et d’une augmentation de la valeur ajoutée des produits qui pourrait compenser une diminution des volumes, la nature et la structure de croissance des pays producteurs muteraient plus ou moins selon les secteurs d’activité occupés mais les états ne devraient pas déplorer de brusques bouleversements économiques. Le projet International Convention for a Global Minimum Wage initié en 2013, bénéficie d’un réseau mondial de 2 000 économistes vraisemblablement favorables à une réflexion sur les propositions émises. On trouve parmi ceux-ci, bon nombre de chercheurs et professeurs qui enseignent dans les universités américaines de l’Ivy League (Harvard, Yale, Columbia, Cornell…) ou à Stanford, Berkeley, au MIT et dans d’autres écoles prestigieuses mais aussi plusieurs centaines d’économistes travaillant dans des institutions internationales telles que l’ONU, l’OMC, la Banque Mondiale, le FMI, le Forum Economique Mondial ou l’OIT. Le salaire minimum mondial pourrait marquer le début d’une riche réflexion économique si elle est en outre éthique et philosophique. Cela pourrait constituer un point de convergence entre l’OMC attachée à la politique de libre-échange mais plus que jamais consciente de ses effets pervers depuis que les appels à un changement de paradigme se multiplient et l’ONU en quête de solutions capables de ralentir les ravages exercés à l’encontre de la planète et de réduire les inégalités.   

Francis Journot est consultant et entrepreneur. Il dirige le Programme industrialisation Afrique subsaharienne  ou Plan de régionalisation de production Europe Afrique et Africa Atlantic Axis.  Il fait de la recherche dans le cadre d’International Convention for a Global Minimum Wage et tient le site Collectivité Nationale

 

 

 

 

 

 

 

 

Copie et reproduction interdites - Copyright © 2023 Francis Journot - All rights reserved